Peinture africaine, joie et couleurs dans les cœurs ! (2024)

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Plus de 200 œuvres signées par quelque 120 artistes racontent, sous le prisme de la joie, un siècle de peinture figurative noire à Bâle.

Gwennaëlle Gribaumont

  • Publié le 29-05-2024 à 11h44

Peinture africaine, joie et couleurs dans les cœurs! (1)

Après le Zeitz MOCAA (Le Cap), l’exposition When We See Us fait escale à Bâle. Assurant le commissariat, Maja Wismer (responsable du département art contemporain) résume l’idée centrale : “Le concept curatorial a été conçu après des recherches approfondies et de longues conversations menées par Koyo Kouoh et son équipe. Il s’agit de réunir un ensemble exhaustif de peintres figuratifs à travers une sélection qui célèbre la joie et le caractère positif de ces autoreprésentations. La plus ancienne œuvre datant de 1920, le parcours couvre plus d’un siècle de peinture, offrant dès lors une perspective historique.”

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Le titre, directement inspiré de When They See Us (mini-série Netflix accusant le regard inondé d’injustices de Blancs percevant continuellement les jeunes Noirs comme de potentiels criminels), nous est expliqué par Koyo Kouoh, directrice du Zeitz MOCAA : “Le “We”, ce sont les Africains et les Afro-descendants. Cette exposition questionne comment l’expérience noire a été représentée par les Africains.”

Un changement de perspective salutaire : pendant des siècles, l’homme noir a été représenté par des artistes occidentaux de façon très particulière, le plaçant dans un contexte esthétisé, ultra-exotique, violent ou servile. À présent, les artistes africains marquent une rupture, se réappropriant leur image et écrivant leur propre histoire de l’art.

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Dans une scénographie au cordeau imaginée par Wolff Architects, le parcours – réunissant plus de 200 œuvres signées par quelque 120 artistes – a été dicté par des rapprochements iconographiques. La visite nous embarque dans une histoire en six chapitres.

Triomphe et émancipation explore le sentiment de fierté envers sa propre histoire et ses réussites malgré l’adversité et l’oppression. Des icônes mondialement renommées, à l’instar de Chéri Chérin (Obama Revolution, 2009), se mêlent à des artistes encore anonymes. Sur la toile, des hommes et des femmes politiques engagés mais aussi des inconnus ayant obtenu le succès et la reconnaissance sociale. La suite, sous le signe de la Sensualité, présente des corps noirs de manière intime. Le modèle noir, d’après Félix Vallotton (2019) signé Roméo Mivekannin fait directement écho à ce canon occidental déchu. La Spiritualité figure au cœur du chapitre suivant.

Selon les commissaires, il est difficile d’imaginer un quotidien noir sans spiritualité. Les œuvres représentent le “triple héritage” – mélange de traditions locales, de religion islamique et de christianisme – décrit par l’écrivain Ali Mazrui (1933-2014). Pièce phare, The Dumb Oracle (2019) de Michael Armitage. Autre constante iconographique, Le quotidien montre la beauté de la vie. Sous nos yeux, des scènes de la vie publique et privée avec des moments de joie ou de contemplation, que ce soit au sein de la famille ou de la communauté, à l’occasion de jeux, à l’école, lors du portage de l’eau ou de la réalisation de tresses. Boy with a Toy Plane (1938) d’Aaron Douglas, The Reader (1939) de William H. Johnson, Gisting in the Kitchen (2018) de Joy Labinjo ou encore l’affiche publicitaire de Johnny Arts pour Ozor International Barber also Specialist in Hair Dying and Shamporing (1962) figurent autant d’aspects de cette vie quotidienne, multiple et colorée.

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L’Afrique est aussi un continent débordant de Joie et allégresse. Il reste toujours du temps pour une chanson ou une danse. Dans The Birthday Party (2021) d’Esiri Erheriene-Essi, on chante pour Steve Biko, dans Un mardi de Carnaval (1960) de Philomé Obin, on participe aux célébrations au sein d’un défilé, dans Jazz Rhapsody (1982) de Romare Bearden, on écoute les rythmes musicaux. Enfin, la dernière section se concentre sur les moments de Repos : on s’étire dans un canapé, on se promène dans la campagne, on savoure simplement le calme assis sur une chaise comme dans An evening in Mazowe (2019) de Kudzanai-Violet Hwami.

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Cette exposition en fait la démonstration : l’art contemporain africain est largement dominé par la figuration du corps noir. Conscient de la rentabilité d’un créneau, les artistes multiplient les compositions mettant en scène le corps, souvent dans un intérieur. Dès lors, il est légitime de se demander si cette exposition ne renforce-t-elle pas l’idée, stéréotypée, que la peinture africaine se résume à des portraits noirs.

Maja Wismer conteste ce risque : “Même si cette production figurative – des protagonistes noirs dans des scènes d’intérieurs – est une production que l’on voit beaucoup (notamment parce que le marché de l’art s’y intéresse), il faut replacer cela dans une perspective historique. Les œuvres ici présentées ne doivent pas être observées comme l’image stéréotypée de la production picturale africaine, mais plutôt comme une tradition iconographique ancrée, et cette tradition est ici abordée sous un angle positif. ”

Les œuvres ici présentées ne doivent pas être observées comme l’image stéréotypée de la production picturale africaine, mais plutôt comme une tradition iconographique ancrée, et cette tradition est ici abordée sous un angle positif.

Maja Wismer, commissaire

Focus sur un marché spéculatif et axé sur le figuratif

Plus bankable que jamais, les artistes contemporains du continent africain font l’objet d’un emballement quasi-systématique et frénétique. Un phénomène multifactoriel en germe depuis une dizaine d’années. C’est Touria El Glaoui qui, la première, offre une réelle visibilité à la scène contemporaine africaine.

En 2013, elle inaugure à Londres la première édition de sa foire 1-54, révélant la création africaine dans sa diversité, et dont on célébra début mai la dixième édition new-yorkaise. Avant cela, l’art africain – y compris contemporain – était défendu par de rares enseignes spécialisées et expositions (dont Magiciens de la Terre en 1989), lesquelles intéressaient majoritairement les férus d’Afrique.

Autre année charnière, 2017 : les engagements du secteur se multiplient. L’art contemporain africain est mis à l’honneur au travers d’expositions majeures (Art/Afrique à la Fondation Louis Vuitton), les grandes foires (dont Art Paris) courtisent les enseignent africaines et des œuvres made in Africa obtiennent aux enchères des résultats de vente qui confortent les collectionneurs.

En 2017, la toile Le seul et unique devoir sacré d’un enfant (2007), signée Chéri Samba, adjugée plus de 120 000 €, décuple l’estimation établie par la maison Cornette de Saint Cyr. Aux États-Unis, Njideka Akunyili Crosby s’inscrit dans l’histoire avec le premier coup de marteau au-dessus du million de dollars, pour Harmattan Haze (2014) et la vente inaugurale “Art moderne et contemporain africain” de Sotheby’s London rencontre un immense succès.

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Sur le second marché, nombreux sont les artistes qui rencontrent un taux de réussite absolu. Amoako Boafo, Toyin Ojih Odutola, Ismail Isshaq, Oluwole Omofemi, Godwin Champs Namuyimba, Kwesi Botchway, Alioune Diagne, Foster Sakyiamah… Un tel engouement pourrait presque être vu comme une anomalie du marché.

Après avoir lancé le département d’art contemporain africain chez Piasa en 2016 et dirigé celui d’Artcurial en 2021 et 2022, Christophe Person, qui a ouvert sa galerie éponyme à Paris en décembre 2022, nous expliquait : “Depuis la crise du covid, nous observons un engouement incroyable pour l’art contemporain en général. Un phénomène notamment encouragé par le développement des galeries en ligne et des profils Instagram des artistes. La scène africaine est arrivée au bon moment et a bénéficié de cet emballement, notamment numérique, qui permet de faire tomber les frontières.

”Autre élément à prendre en compte, les prescripteurs de tendance aujourd’hui, ce sont les collectionneurs. Enfin, une dernière raison de cet engouement fulgurant, c’est le changement de cible induit par les événements grand public qui se sont multipliés entre 2013 et 2017. À l’origine, les collectionneurs d’art africain étaient des passionnés d’Afrique. Depuis quelques années, le marché s’est largement développé parce que ce ne sont plus des personnes qui aiment l’Afrique qui achètent de l’art africain, mais des personnes qui aiment l’art, tout court. Dès lors, on ne s’adresse plus du tout au même nombre de personnes, et cela crée un appel d’air considérable, aux allures de grand rattrapage. Car il y a toujours eu des artistes en Afrique, mais leur valorisation était totalement inférieure à la qualité de leurs œuvres. Aujourd’hui, nous observons que les figures titulaires constituent les seules valeurs sûres d’un marché très spéculatif valorisant de manière très spectaculaire des jeunes artistes n’ayant aucune reconnaissance institutionnelle.”

  • When We See Us. Un siècle de peinture figurative panafricaine Peintures Où Kunstmuseum Basel Gegenwart, Bâle, Suisse, www.kunstmuseumbasel.ch Quand Jusqu’au 27 octobre, du mardi au dimanche de 11h à 18h.

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